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Lame de fond
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30 mars 2012

DE GUERRE LAS

C'est Lynda qui m'avait conseillé ce documentaire, Troufions. C'était diffusé sur France 2, mardi à 23h00. J'ai regardé le début en replay hier soir. C'est sur les appelés en Algérie. Mon père faisait partie du contingent. Il est resté 28 mois dans ce pays à la fin des années 50. Quand il est parti, il avait 21 ans et était père d'un petit garçon de 2 ans, mon demi-frère.

Jamais il n'en a parlé. Juste pour dire que c'était “une boucherie", mais que l'Algérie est un magnifique pays, et qu'il aurait aimé y retourner un jour. Et dans le doc, justement, les cinq appelés disent qu'à leur retour, ils n'ont pas été capables d'en parler.

Ce matin, j'ai appelé mon père, depuis le bureau. Ou plutôt depuis la terrasse de l'immeuble, pour pouvoir être tranquille. Mon père s'est fait opérer, en loucedé. Il y a deux semaines, il a fait croire, à mon frère et à moi, qu'il partait "en week-end à la campagne chez des amis”. Et on a gobé ce gros bullshit ! Dingue, la crédulité qu'on peut avoir, parfois, pour éviter de voir la vérité en face. En fait, il était opéré pour la énième fois d'une hernie abdominale, cette fois-ci très infectée. Et il ne nous a rien dit “pour ne pas nous inquiéter”.

Ce matin, je voulais prendre des nouvelles. “Ça va, me dit-il. L'infirmière va passer dans une heure pour refaire mon pansement. Mais ça va mettre plus de temps que les autres fois à cicatriser. Ce qui m'emmerde, c'est que je vais vraiment plus pouvoir faire mon jardin. Faut espérer que les patates vont pousser toutes seules…”
Je lui dis : “Tiens, l'autre soir, il y a avait un reportage sur les appelés en Algérie. Mais c'était diffusé trop tard pour toi.” Il me dit : “Oui, je suis allé me coucher après le film ! C'était sur la guerre d'Algérie aussi. Sur une femme de là-bas qui a été torturée, puis défendue par une avocate française. Mais après, j'étais trop fatigué. Je suis allé me coucher.”

Je lui dis que ça s'appelait Troufions, et que les cinq témoins expliquaient  qu'à leur retour, ils n'avaient rien raconté à leurs proches. “Toi aussi, tu ne nous as rien raconté. Et moi, je n'ai jamais osé te demander.” Il me répond : “J'avais pas envie d'en parler... Tu sais, j'ai vu mon meilleur copain mourir sous mes yeux.” Et là, il se met à me raconter. “C'était le seul autre Auvergnat de mon bataillon. Il était mécano. En fait, il y avait un autre Auvergnat, mais on l'aimait pas. Un gars de Clermont. Il était chez Michelin (mon père aussi). Lui, ça se voyait qu'il aimait voir souffrir des Arabes… Une vraie ordure.

Mon copain et moi, on a été envoyés en opération pour une escorte. Moi, c'était pour me punir, parce que la veille, j'avais pris une cuite… Et mon copain, parce qu'il n'y avait pas d'autres gars disponibles dans son unité ce jour-là, alors que c'était pas son boulot, normalement. On n'était pas dans la même unité. Alors, quand on s'est arrêtés, il a demandé au gradé s'il pouvait aller manger avec moi, pour discuter un peu. On s'est assis pour avaler un morceau. Il m'a dit qu'il aurait préféré une escalope cuisinée par sa femme ! A l'époque, elle était enceinte. Puis, il s'est levé pour rejoindre son unité. Et là, à quelques mètres de moi, il a pris deux balles dans la tête. J'ai vu ses yeux sortir de sa tête… Il est mort le 15 juin. On a su que sa femme avait accouché le 20. Et j'ai vu des choses encore plus horribles… Mais ça, je pourrai jamais raconter. Si on parlait d'autre chose… Les pépettes vont bien ?”

Oui, les pépettes allaient bien. On s'est dit au revoir. Je l'appellerais ce week-end. Et je suis retournée travailler.



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Commentaires
L
J'aimerais bien qu'il m'en dise un peu plus, pour que cette mémoire-là ne disparaisse pas totalement avec lui. Mais je ne le forcerai pas…
P
Dans ta liste de tags dans ma colonne de droite(je sais pas comment on fait si c'est possible sur blogger, faudra un jour qu'on m'explique ...) j'ai lu "Guerre d'Algérie", ça m'a interpelée. Mon père était aussi en Algérie mais lui était engagé, j'ai raconté un jour comment il avait échappé de justesse à un attentat dans lequel 3 de ses copains sont morts. A part cet épisode douloureux, je ne sais de ce qu'il a fait là-bas et je pense que je ne saurais jamais rien ... Nous ne pouvons que respecter leurs secrets et nous demander ce que nous aurions fait à leur place ... <br /> <br /> PS : j'espère que ton papa s'est bien remis de son opération et que les pépettes vont bien ;)
B
Oui tu as bien fait.J'espère que ses patates poussent et que tes pépettes l'aident à avancer.Bises à toi.
H
Tu as bien fait de l'appeler.
H
Mon père n'a jamais parlé de son séjour en Pologne, ni de sa délivrance par les Russes mais j'ai cru comprendre que les Russes n'étaient pas top comme libérateurs...
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