AUX FRONTIÈRES DU RÉEL

C'est bizarre, mais je n'ai de cette période cruciale que des souvenirs flous.

Le hasard a fait que j'étais à Berlin en novembre 89, à l'occasion d'un voyage universitaire. Unique fois de ma vie où je fus témoin d'un événement historique.
Et pourtant, ma mémoire me fait défaut. J'ai des flashs : des gens qui récupèrent des bouts du Mur à coups de pioche, les Allemands de l'Est habillés comme des Polonais, des Trabis verdâtres qui circulent dans les rues.
Je me rappelle aussi un passage à l'Est via la gare frontière de la Friedrichstrasse, avec des camarades (de promo, pas du PC). Etait-ce quelques jours avant le 9 novembre ? La veille ? Le jour d'après ? Je me rappelle juste qu'il y avait une foule dense. Que les douaniers est-allemands, hostiles et tâtillons, nous avaient taxés de 25 Deutsche Mark. Et que j'étais hyper flippée à l'idée de ne pas pouvoir rentrer à l'Ouest à temps (il y avait un délai imparti par les autorités est-allemandes). Je n'ai jamais été très courageuse, comme fille…

Les mots, les sons me restent facilement, mais ma mémoire photographique est défaillante. Et je n'ai aucun sens de l'orientation. Je pense que ma mémoire a manqué de repères pour fixer les événements.

Je suis retournée à Berlin le week-end dernier. Sur une impulsion. J'aime beaucoup cette ville. Et j'avais pas envie de passer le long week-end du 15 août à 92-City seule (quand je dis seule, j'entends “sans mes enfants”). C'était le 50e anniversaire de la construction du Mur. Un pur hasard encore. Pour moi, ce fut le voyage de la reconstruction. J'ai essayé de mettre un peu de mortier entre les briques éparses qui constituent mes souvenirs. J'y suis partiellement parvenue même si le cœur de la ville s'est métamorphosé. La ville Sphynx.
Le noms des rues arpentées, la vue panoramique depuis un building de la Potsdamer Platz, les documents d'époque affichés dans le métro pour l'occasion ont remis un peu d'ordre dans le fouillis de mon cerveau.

Et un blog, ça sert aussi à ça, non ? De support à la réflexion et aux (futurs) souvenirs. 

La Potsdamerplatz et ses tours de brique, de verre et d'acier. Je devrais revoir Les ailes du désir, tourné en 1987, à l'époque où la place était un no man's land coupé par le Mur.

La Tour de télévision, symbole qui se voulait triomphant de la technologie est-allemande. Et finalement, c'est réussi, puisque aujourd'hui c'est peut-être le monument le plus emblématique de la ville (avec le Reichstag et sa coupole en verre).

L'East Side Gallery, un pan du Mur d'1,3 km, demeuré en place, décoré par des peintres. Ci-dessus, un langoureux bisou entre Brejnev et Honecker.

Sur le chemin de la Berlinische Galerie, un musée d'art contemporain, dans le quartier de Kreuzberg.
Une citation du peintre Otto Dix : "Fais confiance à tes yeux.”

Le buste du gros Karl est demeuré sur l'avenue qui lui est dédiée : la Karl-Marx-Allee. Les immeubles de l'époque socialiste bordent toujours l'immense artère. C'est là que crèchaient les apparatchiks et les “ouvriers méritants”.
A l'Est, le petit bonshomme vert ou rouge des feux tricolores a gardé son apparence d'avant 1989. Il s'appelle “Ampelman”.

Dans le “Parc du peuple” du quartier Friedrichshain, la Fontaine des contes de fées, inspirée des histoires des frères Grimm. Elle date de 1913.

Le mémorial de la guerre d'Espagne, toujours dans le “parc du Peuple”. Plutôt chouette, je trouve.

Une manif féministe avec des garçons déguisés en “sluts” par solidarité avec les gonzesses ! Sur la même place (Gendarmenmarkt), au même moment, des gens en smoking et robe du soir se pressaient dans une salle de concert. Quelques heures plus tôt, j'étais tombée sur une manifestation d'étudiants chiliens. Le même jour, sur l'Alexanderplatz, le cœur de la ville, il y avait une grande kermesse, avec plein de bouffe, d'alcool, du cirque de rue, des animations pour les enfants, des gens qui sautaient en élastique depuis le toit d'un immeuble... Impression que ça pulse tout le temps.

Frühstüch sur l'avenue Unter den Linden (Sous les Tilleuls). Je ne sais pas si c'est la plus belle avenue de Berlin. En tout cas, c'est mon nom de rue préféré.

Comments

[liwymi]

J'ai regardé dans les stats d'où émanait ton commentaire. En voyant ton département, je pense savoir qui tu es ! :-)

Je me souviens que nous avions été invités par la Konrad-Adenaueur-Stiftung ! Et il me semble que nous avions d'abord fait une halte à Bonn ou à Cologne. Avec une conférence hyper chiante !
Et je me rappelle aussi le trajet en car sur l'autoroute qui traversait la RDA sans autorisation de s'arrêter ! Et, au retour, d'une discussion entre étudiants sur les notions d'Etat et de nation. A l'époque, le sujet n'était pas "à la mode", puisqu'en France les deux se confondaient. Ce n'est que dans les années qui ont suivi, avec notamment la guerre en Yougo, que ce débat est devenu crucial.
Finalement, les souvenirs reviennent petit à petit… Mais toujours un peu hors sujet ! :)

[Marigrouette]

Voilà un message qui me rassure : moi aussi, j'étais à Berlin en novembre 89 (on faisait peut-être partie du même groupe, vu la façon dont j'ai atterri sur ce blog) et, quand le 9 novembre 2009, une télé locale m'a contactée pour venir en direct raconter mes souvenirs d'il y a 20 ans, j'ai un peu paniqué. En faisant de gros efforts, j'ai quand même réussi à retrouver quelques bribes de souvenirs à raconter sur le plateau, mais j'ai plus gardé des impressions que de véritables images. Et je me suis vraiment trouvée bête — ça n'arrive pas tous les jours de vivre un événement historique, on devrait s'en souvenir à vie, non ? Enfin, moi aussi, je retourne prochainement en Allemagne, pas à Berlin, mais en Bavière.

[Beloubelette]

Ach dieser Mann, was für ein...nigaud!

[liwymi]

Oui, oui, c'est moi qui lui ai servi de guide ! Ach, der Nico, was für ein Mann !

[SophD]

Tu y etais avec Nicolas non en 89 ? Vous avez l'air d'avoir les mêmes souvenirs... ;-)